Sara Imloul Autoportrait_Das Schloss.2014
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Un voyage introspectif, intime, une ouverture sur une profusion d’univers, c’est ce que nous offre Sara Imloul, photographe plasticienne qui jusque dans le procédé photographique qu’elle a choisi, le calotype, sacralise ses œuvres en cherchant la maîtrise artisanale totale de la matière, pour transcrire un monde fantasmagorique, puisé dans une réalité mémorielle, universelle. Sara Imloul a été lauréate du Prix Levallois 2019.

Photo de Une : Sara Imloul, Autoportrait, Das Schloss.2014

Autoportrait (l'oeil), Das Schloss, 2014 ©SaraImloul
Autoportrait (l'oeil), Das Schloss, 2014 ©SaraImloul

Une mémoire du temps 

Il y a quelque chose de rituélique dans la démarche de Sara Imloul. Ses photos sont comme les pavés d’une route qu’on emprunterait pour voyager dans le temps,  captations d’instants de vie, de mémoires intimes, familières et fantasmées ; de préparations et de mises en place de moments sciemment organisés, dans des lumières qui accentuent les clairs obscurs profonds, pour l’entrée dans un univers onirique, reconstitué du réel, un passage de l’imaginaire au réel et du réel au rêve. On retrouve dans ses création un univers surréaliste, orphique. On pense à Jean Cocteau, dans la photo La vague, de la série Passages, avec l’ombre de Maria Casares dans le rôle de la princesse, représentation de la mort et du sacrifice ; autoportrait, miroir de l’âme ; des images qui font remonter le temps, renaître, comme la réincarnation du jeune poète Cégeste, dans le Testament d’Orphée, revenant à la vie par le truchement de sa photographie qui renait des flammes, de la lumière.

La vague, Passages, 2018 ©Sara Imloul
La vague, Passages, 2018 - Prix Levallois 2019 ©Sara Imloul

Une démarche introspective

Des symboles sont posés là, associant les matières et les êtres, un bras, celui de son grand père, à proximité d’un oursin noir, symbole d’immortalité. On retrouve ce même oursin dans cette même série Das Schloss, sur la photo Oursin et dents de lait (la lanterne d'Aristote)*, peut-être une représentation de l’alpha et de l’oméga, une apposition de la petite enfance et du passage du temps, inéluctable, dévoreur, représenté par les dents internes, invisibles au non initié, de l’échinoïde, constituant de son appareil masticatoire.
*Cliquez sur le texte pour visualiser la photo.

La main et l'oursin, Das Schloss, 2014 ©SaraImloul
La main et l'oursin, Das Schloss, 2014 ©SaraImloul

Les photographies de Sara Imloul rejoignent les œuvres surréalistes, celles de René Magritte ou encore de Francis Picabia. Mais tout est original. Ses images imprègnent le regardant et s’installent dans son psyché, comme celles que produisirent les réalisateurs et cinéastes Luis Buñuel, Sergueï Paradjanov ou encore aujourd’hui Alejandro Jodorowsky.

Sara Imloul ©JorisRossi.2020
Sara Imloul ©JorisRossi.2020

Créer, pour conserver les traces

À la question : la photo pour quoi faire ? voici ce que la photographe répond... « Enfant je faisais de la dance, du théâtre et j’étais fascinée par le spectacle qu’on donnait en fin d’année scolaire au Théâtre de la Sinne, à Mulhouse, par les lumières, les costumes, les coulisses, la préparation de la pièce, la chorégraphie. Je voulais alors tout faire, la lumière, les maquillages, les décors. On me disait, évidemment, que ce n’était pas possible, qu’il fallait choisir ».

Instants sacrés

À 14 ans, elle commence la photographie pour rassembler tous ces éléments. « J’organisais des spectacles en famille dans la maison de mes grands-parents, avec mes cousines, et je faisais des photos pour capturer ces moments que j’avais créés, ces univers, les poses, les personnages, les costumes que j’avais mis en scène. Il y avait une démarche narrative fictionnelle. La photo m’a servi à conserver des traces des petits contes que j’avais inventés. Pour les réaliser j’attendais le bon moment, il fallait poser, ne pas bouger. J'avais le souci de l'économie, je ne faisais qu’une ou deux images. J’étais dans quelque chose de sacré. J'étais aussi fascinée par les photos de famille qui se trouvaient dans la maison et aussi le petit format de l’époque. » continue Sara. La maison de ses grands-parents et l'ambiance qui y régnait a, ainsi, joué un grand rôle dans son évolution professionnelle, vers un choix artistique. Elle a d’ailleurs réalisé la série Das Schloss (Le Château) en référence à ce lieu.

Pierrot, Le Cirque Noir, 2010 ©Sara Imloul
Pierrot, Le Cirque Noir, 2010 ©Sara Imloul

Une maitrise artisanale de la matière

Ce souci de l’économie Sara Imloul va le conserver et l’intégrer dans son travail avec le calotype, premier procédé moderne photographique « qui est pire que le film. Il faut recharger les plans, on peut encore moins shooter à la chaîne » reconnais l’artiste qui n’est jamais passée au numérique. « J’ai toujours eu la volonté de tout faire de mes mains, tout contrôler, de ne pas passer par un laboratoire ou utiliser une imprimante. Sauf exception pour les très grands formats, comme le travail que j’ai fait avec l'atelier Diamantino Labo Photo (-->lire l'article sur le tireur Diamantino Quintas) pour le développement d’une photo d’Art d’une pièce d’assemblage du sculpteur Nicolas Lefebvre, je tire toutes mes images. » Il y a une recherche de sacralité dans sa démarche à travers le contrôle et une maîtrise artisanale de la matière. « La sacralité d’une photo « tirégraphiée », réalisée seulement avec une camera obscura et une surface photosensible ».

Son intention : une archéologie intime

« La photographie est pour moi un refuge. Je ne le fais pas pour les autres, c’est introspectif. Passages, mon dernier travail, est une archéologie intime, presque psychique. C’est creuser à l’intérieur de soi et laisser la trace la plus intime et juste possible, car je pense que plus on entre dans l’intimité, plus c’est universel. Et puis je garde, ainsi, un lien avec le monde de l’enfance et de la magie. »

Son parcours

Née à Mulhouse il y a 34 ans, Sara Imloul y a passé son enfance. Elle part ensuite avec sa mère à Nantes où elle sera lycéenne « et très mauvaise élève. Les Arts plastiques et le Cinéma, les options que j’avais choisies, étaient à peu près les seules cours que je fréquentais au lycée, avec la philosophie » dit-t-elle. Le bachot et un petit pécule en poche, elle décide de voyager, en Afrique. « Nous sommes allés de Marrakech jusqu’au Burkina Faso, en autostop, en vivant chez l’habitant. » Un périple de 8 mois qui a changé sa vie. « Au départ, déjà, je me sentais coupable d’être partie, en touriste, dans un pays pauvre. Et à mon retour, j’ai mis extrêmement de temps à m’en remettre, à me réadapter. J’avais perdu tous mes repères. On s’aperçoit que les fondements de notre culture, le rapport à la vie, à la mort, à Dieu, à l’amour, le statut de la femme, ne valent plus rien en faisant 4 heures d’avion. À mon retour en France j’étais dans une culpabilité extrême. Je me disais à quoi bon payer une place de cinéma le prix du loyer de notre appartement à Bamako. Tout ce que je consommais en France de non vital me paraissait futile. »

L’année de son retour, en 2008, Sara Imloul intègre l’ETPA (École de Photographie et du Jeu Vidéo) de Toulouse. « Une école vraiment technique, précise Sara, qui se rapproche plus de l’ENS Louis Lumière de Paris. En même temps que l’histoire de la photo et de la sémiologie, on y enseigne toutes les techniques, du sténopé jusqu’à la caméra grand format numérique. »

Le calotype, pour la liberté d'expression

« J’aime le négatif papier, sa faible sensibilité, les temps de pose qui se rallongent et qui imposent une immobilité. Pour moi ça se rapproche de la performance théâtrale, car parfois il ne faut pas bouger pendant trois minutes. Il y a quelque chose de l’ordre du spectacle vivant. Et puis le négatif papier qui devient une surface sur lequel on peut vraiment travailler, on peut faire du collage, du dessin, espacer les sels d’argent avec du ferricyanure, ajouter de la lumière. C’est bien plus malléable qu’un film. J’aime aussi le tirage contact à échelle 1, le piqué qu’il apporte. À l'école, après le sténopé on est très vite arrivé au calotype, qui date de 1840, que j’ai immédiatement adoré et sur lequel je suis resté bloquée. J’ai fait du calotype pendant trois ans, ce qui désespérait un peu un de mes professeurs qui me disait d’essayer la couleur ou d’autres choses. Finalement, j’ai travaillé pendant ces trois ans sur une série, le Cirque noir. »

2012 : 1ère exposition à la Galerie Polka 

Elle sera, en 1ère année, repérée par le rédacteur en chef de Polka Magazine alors qu’elle commençait son travail. « Il était étonné qu’une fille de 24 ans soit complètement imprégnée de cette technique préhistorique » confie-t-elle avec un sourire. Elle sort diplômée au bout de ces trois années de formation et intègre la Galerie Polka galerie qui exposera la série Le Cirque noir en 2012.

La Chambre noire de Sara Imloul, constructeur H. Martin, de fabrication française. L'atelier était sis au 77, rue du Faubourg Saint Denis à Paris. Photo © Pierre d'Ornano/Aeternus.fr
La Chambre noire de Sara Imloul, constructeur H. Martin, de fabrication française. L'atelier était sis au 77, rue du Faubourg Saint Denis à Paris. Photo © Pierre d'Ornano/Aeternus.fr

Un modus vivendi Arte Povera

Pour ce qui est des appareils, Sara Imloul a débuté avec le petite Aiglon 6x6 de son grand-père, puis, graduellement, est passée au format 8x10 du polaroid, puis au 10x12 de la chambre, au 13x18 et enfin au 20x25. « Je chine mes boitiers aux Puces. Je n’ai que faire des marques, il faut que je sente l’appareil, l’objet. J’ai un rapport très Arte Povera avec mon matériel. Pour moi les objets sont sacrés, mais je n’y suis pas attachée, et les appareils photographiques ne sont que des media. »

Sa façon de créer

« Je fais un travail préparatoire, je dessine et j’écris beaucoup avant de photographier. L’acte photographique arrive lorsque l’image est faite dans ma tête. Il peut se passer une semaine avant que je la fasses, car je vois exactement le résultat sur le verre dépoli dans le cadre de la chambre noire et je peux attendre d’avoir trouvé le bon objet ou la lumière que je souhaite. Je ne cherche pas en photographiant. Ainsi, j’ai très peu de négatifs par image et d’ailleurs je ne produis pas beaucoup. »
Sara Imloul prépare la sortie d’une nouvelle série de calotypes à la chambre 20 x 25, intitulée Chez moi, ainsi qu’un film.

Ci-dessous :
BALLADE DANS LES DÉSÉQUILIBRES DE LA CHUTE
film réalisé en 2013 par Sara Imloul pour le performeur Benoit Canteteau.

Informations Pratiques

Formats des images :
-Petits formats : entre 8x10cm et 13x18cm
-Grands formats : 50x60cm
Un format de 2m a été réalisé pour la série "À quatre mains".
Les photographies sont tirées sur du papier baryté mate.

Tarifs :
-Renseignements auprès de la Galerie 127.

Les lieux actuels d’exposition et les expositions à venir
-Galerie 127 Marrakech 
127, Av. Mohammed V, Gueliz (2ème étage) - 40000 Marrakech, Maroc
-Galerie Confluence - jusqu’au 20 mars 2021.
45 rue de Richebourg 44000 - Nantes
-Galerie La Chambre Claire – du 5 juin au 17 juillet 2021 - trois séries devraient être présentées : Le cirque Noir, Das Schloss et Passages.
Vernissage le samedi 5 juin 2021 à partir de 10h30 en présence de l'artiste.
3 rue Voltaire 29100 - Douarnenez
-Paris Photo 2021 - du 11 au 14 novembre 2021 Grand Palais Éphémère
Avenue Winston Churchill - 75008 Paris
- Festival Les Rencontres de la photographie d'Arles – du 4 juillet au 26 septembre 2021 / semaine d’ouverture du 4 au 11 juillet

Les albums sont édités chez Filigranes Éditions.

Pour accéder au site internet et à l’ensemble des expositions et publications de Sara Imloul cliquez « ICI ».
Les autres œuvres / films, sont à découvrir en cliquant « ICI ».

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