Photographe parisienne, née en 1984, Claire Adelfang, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux‐Arts de Paris, s’attache à extraire de lieux parfois délabrés, déshabillés, de bâtiments militaires ou industriels, d’architectures et de sites historiques à l’abandon ou inaccessibles, les traces de vies humaines. De ses œuvres émanent une profondeur, une gravité mais également de la beauté. Son travail photographique théâtralise et transcende des espaces laissant paraître des univers mentaux propres à chacun et chargés émotionnellement.
Photo de Une : Les vinaigreries : Intérieur I © Claire Adelfang
Devant ces photos, on se pose et on attend comme pour se laisser surprendre par l’apparition de scènes. L’image, le lieu vide de toute humanité s’enrichit alors de son histoire et/ou de notre projection mentale. La gravité dans ces œuvres ne résulte pas uniquement de la force inhérente aux lieux, mais d’un travail photographique imprégné par la personnalité de la photographe.
Le choix de l’argentique et du format carré ...
Si Claire Adelfang se forme aux différentes techniques de la photographie, d’emblée elle a en tête un objectif, travailler de façon traditionnelle, en photo argentique et sur un format carré. Une démarche qui n’est pas habituelle, notamment pour photographier des paysages ou de l’architecture où les formats horizontaux sont la norme. Un format carré risqué, qui impose d’assumer ses choix.
... en lumières naturelles
« J’avais besoin de construire à ma manière une image. Et le format carré confine un équilibre. Il ferme ma recherche graphique et sculpturale. J’essaie de construire l’image selon ce format, ce qui donne une autre lecture du lieu. Je joue aussi beaucoup sur les profondeurs et sur les gros plans ou les plans assez rapprochés qui offrent un certain aplat et parfois une sorte d’abstraction d’image. »
La recherche de la profondeur se joue dans les ombres et la modulation, déterminante dans la construction de ses images. Des ombres et des lumières toujours naturelles, sans rajout d’éclairage.
Parcours
Ce qui l’a amenée à la photographie…
« Après une prépa artistique à l'Atelier de Sèvres, j’ai poursuivi des études aux Beaux-Arts de Paris. On touche un peu à tout en prépa, il faut expérimenter différentes pratiques pour savoir où est sa sensibilité. J’ai tout de suite été attirée par la photographie. Mon père, Serge Adelfang [journaliste] aime la photographie et mon grand-père paternel, que je n’ai pas connu, faisait de la photographie en amateur. Mon père m’a légué son appareil qui était une petite chambre, hors d’usage aujourd’hui et qui avait une valeur sentimentale. La photo est ainsi venue naturellement dans mon parcours d’étudiante. Lorsque je suis arrivée aux Beaux-Arts, j’ai cherché tout de suite à développer cette pratique. J’ai donc choisi comme chef d’atelier le photographe Patrick Tosani. Il m’a apporté la technique, évidemment, mais aussi comment contrôler l’image, puis s’en emparer et la manière d’en parler. »
« Dans certaines de mes photographies l’arbre représente l’axe central et il est un élément de conjonction entre l’eau, l’air, la terre et la lumière. Parfois, je cherche à aller sous le cadre, en profondeur, toucher aux racines, parfois je cherche à sculpter le paysage, et l’arbre y devient alors motif. »
Si l'artiste maîtrise l’ensemble de la chaine de production en argentique, ses tirages sont réalisés au sein de l’atelier de Diamantino Quintas (lire notre article en cliquant ICI). Le tirage est un art à part entière. « Mes photos servent à des expositions. J’ai besoin d’un tireur professionnel. Je travaille avec Diamantino depuis très longtemps. Je suis là au moment de la réalisation, ce qui me permet d’avoir un échange pour qu’il puisse reproduire au mieux ce que je souhaite retranscrire en termes de profondeur, de lumière et de couleurs. C’est la concrétisation du travail, et un moment toujours très agréable. »
Consultez l'ensemble de sa biographie, de ses références et de ses travaux en cours en cliquant ICI.
« Ma sensibilité se porte sur la peinture et le cinéma »
A la question des sources de son inspiration, Claire déclare être sensible à la peinture et au cinéma, qu’elle met avant le graphique. Beaucoup de ses images font penser à des décors de films. Il-y-a dans son travail une atmosphère de Nouvelle Vague, celle qui déferla de Paris à Rome dans les années 1950, pionnière du cinéma d’auteur.
Le Hameau de la Reine - Intérieur III, VI, VIII | Versailles © Claire Adelfang.
Cette série de photographies a été commandée en 2014 par l’Etablissement du Château, du Musée et du domaine national de Versailles pour le portfolio de son magazine culturel « Les Carnets de Versailles ».
On retrouve dans le travail de Claire Adelfang sur les intérieurs du Hameau de la Reine de la série Versailles cette influence de la peinture classique, notamment de Johannes Vermeer (1) (1632-1675), dans le cadrage, l’orientation et la captation de la lumière.
Palais Garnier : Salle des cabestans I et III © Claire Adelfang
Série commencée en 2015, un cheminement dans la complexité des machineries et des structures de l'Opéra parisien.
Le cinéma et son mouvement émergent également dans ses œuvres empreintes de théatralité, car la photographe nous impose une mise une scène, dont nous serions les acteurs d’un jeu d’improvisation mental. Un de ses réalisateurs préférés est Michelangelo Antonioni (décédé en juillet 2007), mais elle aime également le cinéma de Fritz Lang (1890-1976) – l’architecte (de formation) austro-hongrois, dessinateur, immense réalisateur et cinéaste de l’expressionnisme – et celui du russe Andreï Tarkovski (1932-1986). Sa démarche fait aussi penser au réalisateur danois Lars von Trier, mais avec comme finalité une quête du beau, une élévation qui gommerait les traces des ombres et des heures les plus sombres laissées par l’humanité.
(1) Le peintre David Hockney affirmait au début des années 2000 dans Savoirs secrets, que le maître de Delft utilisait une camera obscura pour réaliser ses peintures. Cette thèse d’un Vermeer « proto-photographe » a été démentie par des spécialistes. Toutefois, dès le XIXe siècle, lors de la redécouverte du peintre, une similitude avait été observée entre ses œuvres et la photographie.
Felsenreitschule (le manège des rochers) | Salzbourg © Claire Adelfang
« J’aime le sacré, on peut y accéder dans tous les lieux »
« Avec Fritz Lang, il-y-a une véritable recherche de lumières et de contrastes. Bien évidemment on est dans un univers noir et blanc. Mais on retrouve dans les regards, les yeux, un travail très intéressant de création de profondeur, d’une intensité retranscrite à travers les ombres et les lumières, déclare-t-elle. Avec Tarkovski on touche au sacré. J’aime le sacré. On peut y accéder dans tous les lieux. Tarkovski aborde aussi la manière dont l’homme interagit avec son environnement. Moi je ne photographie pas l’humain, mais l’humain, en fait, il est là, partout. C’est l’impact de l’homme et son empreinte sur l’environnement. Les notions de mémoire, d’histoire, de transmission sont une manière de faire parler, de retranscrire des lieux marqués par le passage de l’homme. J’ai un profond intérêt pour l’histoire et la mémoire des lieux. Et un grand besoin de comprendre certains lieux. »
« Ce qui est essentiel dans mon travail est de m’approprier le passer pour le transformer en histoire contemporaine.
Et ce qui m’intéresse dans les espaces que je photographie est cette modification de la vision, ce passage où le regard change pour capter une autre lecture du lieu, qui ne demande qu’à être révélée. »
Claire Adelfang
Les lieux, dont elle parlent, qu’elle a photographiés, sont chargés d’histoire, parfois oppressants, comme le base sous-marine de Saint-Nazaire, de la seconde guerre mondiale. De ces clichés émanent un appel à la lumière, d’une certaine violence. Une volonté, exprimée par Claire Adelfang dans ses œuvres, de sortir d’un tourbillon macabre, sous-jacent, douloureux, inscrit dans les mémoires, qui transpire des murs gris, lumière sacrée contre pénombre pour, sans doute, exorciser un enfermement.
Photos de gauche à droite : Éclats et Alvéole | Base sous-marine de Saint-Nazaire © Claire Adelfang
Ces bases militaires ont été construites par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale
« Le travail sur les bases sous-marines m’a permis de plonger dans cette histoire, qui est aussi propre à ma famille, associée à des douleurs. Et d’essayer de comprendre. Du côté de mon papa on est une famille juive, certaines personnes ne sont pas revenues. Mais, finalement, mon regard c’est aussi comment m’extraire de cette douleur. Comment je peux, dans un rapport fictionnel, y mettre une sorte d’espérance en transcendant le lieu par une mise en scène, une théâtralité ou un décor de cinéma. Je cherche à prendre le lieu dans son actualité, son présent, et à le sortir de l’ombre pour le mettre dans la lumière et de tendre vers une sorte d’irréalité. Quant à la photo, j’aime les photographes qui ne font pas la même chose que moi. Je suis curieuse de tout. Je regarde. Par exemple, je ne fais pas de portraits, mais j’aime observer la manière dont un photographe capte les visages, les émotions.»
Informations pratiques
Ses appareils photos : un Rolleiflex 6008 et un Hasselblad 500 CM.
Pour le papier, Claire a une préférence pour l’argentique Kodak satiné.
Le format habituel des photographies est 120 x 120 cm, avec 3 éditions pour chaque photographie.
On trouve également des formats plus petits pour certains sujets, en général en 40 x 40 cm.
Pour acquérir les photos contacter Claire Adelfang via :
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--> son site Internet