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« Ce petit livre est un grand livre ! », déclare Michel Archimbaud*, son éditeur. Publié uniquement en bibliophilie, hors commerce, à 100 exemplaires (sur beau papier), il allie sens, esthétisme (le peintre Donadini l’a illustré) et rareté.
Mon Ami Charlot a été édité en 2013. Il s’agit d’un article paru dans le journal Art, communiqué à l’éditeur par Pierre Etaix. Charlot y est illuminé des feux du regard de son ami Buster Keaton qui lui rend hommage tout en révélant les contours de ce qu’il fut, génie méthodique du cinéma burlesque muet, humaniste exilé en 1952 en Suisse, à Corsier-sur-Vevey, dans une époque troublée par le maccarthysme.

Photo de couverture : ce livre pour bibliophile a été achevé d’imprimer sur les presses de Pascal Duriez à l’imprimerie d’art des Montquartiers, Issy-les-Moulineaux. (Lire notre article en cliquant ICI)

Entretien avec Michel Archimbaud…

Pierre d'Ornano : Quelle a été la genèse de Mon ami Charlot ?

Michel Archimbaud : Ce livre servait de programme à un ballet, dont j’ai été le dramaturge, qui fut créé au Théâtre National de Chaillot, avec la participation de Pierre Etaix. La chorégraphe Maryse Delente en fit un très beau spectacle, qui, comme Tintin et Milou, attira un public de 7 à 77 ans.

Pierre d'Ornano : Mon ami Charlot est en quelque sorte une reconnaissance de Keaton vis-à-vis de Charlot. Keaton commence son article par « je connais Charlie depuis 1912 », comme s’il voulait dire également je « reconnais Charlot ».

Avec Buster Keaton on est dans le gag trajectoire, avec Charlot dans la comédie satirique sociale, deux expressions du burlesque qui semblaient les opposer. Y avait-il une rivalité entre ces deux monstres sacrés de l’âge d’or du cinéma muet hollywoodien dont Keaton, par ce texte, a voulu se départir ?

Une reconnaissance tardive...

Michel Archimbaud : En cela Keaton n’avait pas tellement besoin de réhabiliter Charlot. C’est plutôt le contraire. Souvenons-nous que Keaton a très longtemps été presque ignoré, voire méprisé. Il n’y a que depuis une cinquantaine d’années que Keaton a pris sa réelle dimension auprès des intellectuels et du plus grand nombre.

Charlot, dessin de J-.P. Donadini, livre "Mon ami Charlot".
Charlot, dessin de J-.P. Donadini, livre "Mon ami Charlot".

Pierre d'Ornano : Est-ce à cause de son unique registre mélancolique ou de la fin d’une histoire hollywoodienne, celle du cinéma muet ?

Michel Archimbaud : Je reprendrais la fin d’une histoire. Certes Keaton a toujours été un clown triste, c’est quelqu’un de décalé, de tragique. C’est d’ailleurs pour cela que les surréalistes l’ont adoré. Si Charlot au démarrage est un clown triste, Keaton l’aura toujours été, avec un visage impassible. S’il a fait des gags, c’était fondamentalement quelqu’un qui n’avait rien de drôle, ni dans sa vie, ni ailleurs. On est avec Keaton dans une dimension poétique, chorégraphique et quelque part « surréalisante ».

Le génie de Charlot est universel, et pour le plus grand nombre. Confronter les deux est donc plus complexe qu’en apparence.

Buster Keaton, dessin de J-.P. Donadini, livre "Mon ami Charlot".
Buster Keaton, dessin de J-.P. Donadini, livre "Mon ami Charlot".
Michel Archimbaud , mars 2018 © Pierre d'Ornano
Michel Archimbaud , Paris, mars 2018 © Pierre d'Ornano | Aeternus.fr

Pierre d'Ornano : Ce texte revient sur un certain nombre de malentendus autour de Charlot qui est décrit comme primesautier, dur, avec une certaine âpreté de caractère, cela dans un contexte politique délétère.

Michel Archimbaud : Keaton connaissait la violence de Charlot. Si, tout d’un coup, il éprouve le besoin de dire le contraire de ce que la vox populi sait de lui, de son « arrivisme » dans le bon sens, c’est sans aucune malignité, car lorsqu’on a du génie il faut être arriviste pour le faire reconnaître. Keaton se plait ainsi dans ce livre à rendre hommage à Charlot sans arrière-pensée. Ce n’est pas un homme intéressé. On le voit bien pour lui-même. C’est un homme brisé.

Pierre d'Ornano : Une des toiles de fond de ce texte, lieu commun où le comique se marie au tragique, est le cirque et les clowns. Parmi eux il y a l’Auguste, clown inventé au 19e siècle, habillé d’un patchwork représentation probable de la société, portant sa part de ridicule, jeté en pâture au clown blanc (l’intellectuel) et dont les spectateurs se délectent, riant en fait d’eux-mêmes. Mais on n’est jamais perméable à la moquerie, pas même un clown. Keaton aborde-t-il à travers la défense de Charlot la difficulté d’assumer la profession de faiseur de rire ? Keaton a cette phrase : « On ne pardonne pas au génie d’être seulement un homme ».

Michel Archimbaud : En effet ! Charlot et Keaton avaient à la fois un amour et un rejet du cirque, ils étaient fous de cirque. Ce texte, paru dans le journal Art, est écrit pour l’arrivée de Buster Keaton qui fait un numéro au cirque Medrano, rue des Martyrs, au pied de la butte Montmartre à Paris. Il y a là du tragique car Keaton a commencé sa carrière dans la pauvreté, au cirque, comme acrobate et termine tristement sa vie dans une tournée qui passera à Medrano. Pour sa part Charlot réalisera, en 1928, un de ses chefs-d’œuvre avec la comédie dramatique « Le Cirque ». Ces deux personnages ne se rencontrent jamais artistiquement, mais ont des chemins de vie parallèles. Le lazzi, la moquerie bouffonne, est toujours le moyen du faible de pourfendre la société. Je partage l’analyse que vous faites du clown, de la déclinaison que sont tant Keaton que Charlot. Dans son dernier film, La Comtesse de Hong Kong (avec Marlon Brando et Sophia Loren), Charlot s’écartera provisoirement de sa fonction de clown, qui fut toujours pour lui l’essence même de son génie, pour rejoindre différemment l’humanité. Il y a toujours le complexe du comique par rapport à son statut social. On vérifie très souvent que les comiques ne sont jamais très à l’aise avec leur situation d’amuseur. Publier ce livre, et accompagner le ballet à Chaillot, avait, pour moi, une importance qui n’était pas tant dans l’hommage à ces deux artistes qui n’était plus à faire, que dans un certain besoin de parler de ce personnage tellement touchant que fut Keaton.

*Michel Archimbaud est éditeur, enseignant, écrivain et dramaturge. Il a notamment publié dans la Collection Folio essais, Gallimard, sous forme d’entretiens, 2 livres : Pierre Boulez et Francis Bacon.

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