Le Goethe-Institut de Paris consacre, jusqu’au 6 septembre 2022*, une exposition intitulée « L’Entracte » au photographe Matthias Hoch.
Vingt-quatre ans après avoir exposé à Paris au Goethe-Institut, Galerie Condé, le photographe et vidéaste allemand Matthias Hoch revient, avenue d'Iéna, avec l’exposition « L’Entracte ». Redécouverte parisienne et interview d’un artiste dont les œuvres abordent l’urbanisme contemporain, la société postindustrielle et, au-delà de l’esthétisme et de leur beauté sculpturale, s’inscrivent, voire éveillent, à une dimension sociale et politique.
*Nb.: en raison de la fermeture estivale du Goethe-Institut, l'exposition reprendra le 17 août.
Photo de Une : Le photographe allemand Matthias Hoch lors du vernissage de l’exposition « L’Entracte », au Goethe-Institut de Paris. Photo © Pierre d’Ornano / Aeternus.fr
Un artiste pour qui la meilleure reconnaissance fut les trois bourses de résidence qu’il reçut à la Villa Massimo de Rome, en 2003, à la Villa Kamogawa de Kyoto, en 2013 et à la Cité Internationale des arts de Paris, en 2019. « Cela ouvre l’horizon », dixit Matthias Hoch.
Une vision ouverte de la réalité du temps présent
Lorsqu’on l’interroge sur les mouvements ou les photographes qui l’ont influencés Matthias Hoch évoque le Français Eugène Atget (1857-1927), célèbre pour ses photos documentaires de Paris ; le photographe documentaire américain Walker Evans (1903-1975) ; le mouvement artistique allemand la « Neue Sachlichkeit » (Nouvelle Objectivité*), qui succéda à l’expressionisme dans l’Allemagne des années 1920 et jusqu’à l’orée des années 30 dans une démarche de refléter la réalité, d’être ancré dans le temps présent en faisant abstraction du « pathos » ou du sentimentalisme; les premiers films du réalisateur allemand Wim Wenders ou encore Michael Schmidt, détenteur du prix Picket de la photographie et de la durabilité, décédé en 2014, à 68 ans, à Berlin, sa ville natale, qu’il photographia des années durant.
*Le Centre Pompidou va consacrer une exposition à la Nouvelle Objectivité en septembre prochain (Lien, cliquez ICI)
« L’Entracte » ou le libre court à l’imaginaire
Les œuvres exposées au Goethe-Institut de Paris, avenue d’Iéna, réalisées entre 2017 et 2020 à l’aéroport de Berlin (BER)*, à la Philharmonie de Paris et à l’Espace Niemeyer (siège du Parti Communiste Français – place du Colonel Fabien, 75019) plongent le visiteur dans une scène de cinéma, dont le mouvement serait le temps de l’activité humaine figé dans une œuvre architecturale, parfois en attente, inaboutie ou morte ; la distance, la conscience suscitée par les images.
Une sorte de comédie humaine intemporelle et pourtant inscrite dans une histoire, alors trame temporelle, emprunte d’une dimension sociale et politique. Une scène sans public, un siège de parti politique sans militants, un aéroport sans passagers, en attente, qui laissent libre court à l’imaginaire. On peut attendre l’entrée des publics, des protagonistes, penser que l’événement a déjà eu lieu ou bien encore qu’on est au temps de « L’Entracte ».
L’aéroport de Berlin nous projette dans la même séquence. Le temps d’un bâtiment précédant son entrée en fonction, avec un doute qui s’installe : est-t-on au début de la vie de l’édifice ou à sa fin ? Où est le curseur de son apogée. Comme la fugacité d’un régime politique fondé sur un idéal irréaliste ou inachevé.
Les thèmes, les lieux et les périodes choisis par Matthias Hoch révèlent une dimension sociale et politique qui semble assumée par le photographe. Une démarche d’observateur, qui installe un dialogue au sein et entre les lieux figés individuellement, photographiquement, mais animés par cette relation, ainsi du sous-sol du Niemeyer en connexion avec la Philharmonie de Paris.
Lors du vernissage de l’exposition, Matthias Hoch a attiré mon attention, comme un « clin d’œil » sur le sous-sol du Goethe-Institut, où sont exposées les photos du Paris 2019, et la couleur du sol, rouge profond … perspicacité du photographe à saisir le sens de l’environnement architectural, du décor des lieux en relation avec l’intention humaine, consciente ou inconsciente. Le travail de Matthias Hoch fige l’activité humaine en mutation, imprime dans les esprits, via ses déclics photographiques, la texture des lieux dans ses formes, ses matières et, associé au beau, l’irrationnel voire le dérisoire.
Les œuvres captent le détail architectural, avec un sens aigu et très personnel de la perspective, démarche esthétique et introspective.
*L'aéroport de Berlin-Brandebourg (BER), dont le chantier de construction avait débuté en 2006, n’a ouvert ses portes que le 31 octobre 2020. Erreurs techniques, corruption, ce grand projet, symbole des échanges internationaux, est ainsi demeuré sans fonction de longue années. Pendant trois années, Matthias Hoch a exploré et photographié ce lieu inachevé, espace après espace en se mettant à la place d'un passager potentiel.
Questions à Matthias Hoch ...
« L’image photographique est déjà une histoire »
Quel est votre parcours et l’élément le plus marquant de votre vie ?
Matthias Hoch : « Vous devez vous dépêcher si vous voulez voir quelque chose, tout disparaît », déclarait Paul Cézanne. J’ai grandi en Allemagne de l’Est, j’ai étudié la photographie à l’académie d’art de Leipzig. Et puis, en 1989, j’ai vécu quelque chose d’incroyable : nous avons manifesté contre un système et pour la liberté, et après quelques mois, ça s’est réalisé, le mur était tombé, le système aussi - sans violence, sans victimes, un miracle. C’est l’expérience la plus importante de ma vie.
Pourquoi utiliser la photographie comme expression artistique ?
M.H. : Lorsque vous appuyez sur le bouton, l’image photographique est déjà historique. Elle montre cette intersection de l’espace et du temps et est non reproductible. C’est fascinant.
Outre la photo, vous faites également des vidéos. Qu’est-ce qui différencie ces outils ?
M.H. : Je peux arrêter (ou garder) le temps avec la photographie. J’ai découpé une image dans le continuum temporel; je peux l’agrandir, l’accrocher au mur, l’imprimer, la mettre sur Internet : le spectateur peut la regarder encore et encore, l’étudier, l’approfondir.
Avec la vidéo je peux montrer le mouvement, 25 images par seconde, une image efface la suivante. Tout est flux. La vidéo permet des aperçus, d’entrer dans un processus. En revanche, une photographie, un « immobile », montre une fraction de ce processus ou du résultat.
Quels sont vos thèmes ?
M.H. : Mes images montrent des lieux en mutation, dans un état intermédiaire, en construction ou en transformation, entre ce qui a été et ce qui pourrait être.
« Faites une pause … »
Quel message souhaitez-vous faire passer via les œuvres exposées à Paris dans l’exposition « L’Entracte » ?
M.H. : Tout d’abord, je montre les choses telles que je les perçois. C’est mon point de vue qui transparaît dans mes photos ou mes vidéos. Et c’est relativement ouvert, j’invite les spectateurs à regarder autour et à l’intérieur des images et à trouver leur propre façon d’y accéder. Nothing happens, no plot that culminates at the 'crucial moment’ (Henri Cartier-Bresson), je ne raconte pas une histoire. Même si…
Bien sûr, il y a une histoire d’échec, d’incompétence, de gaspillage d’argent avec l’aéroport de Berlin, qui n’a pas fonctionné depuis des années; ça a été repris par tous les médias, c’est sous-entendu, on le comprend en regardant les photos, en lisant les légendes. Mais les images peuvent aussi s’extraire, se détacher et prendre vie par elles-mêmes. C’est la dimension que je préfère.
« Less is more »
Alors, on est projeté dans les limbes comme tout l’aéroport. On ne sait plus s’il s’agit d’assemblage ou de démantèlement et on peut penser au passage du temps, à ‘En attendant Godot’, ou à la cohérence, la consistance des « matériaux d’emballage ». Ce qui m’intéresse est cette diversité de pensées, et pas à une seule vision. Et s’il y en avait une, elle pourrait être celle-ci : Faites une pause, regardez attentivement les endroits que vous fréquentez ou où vous vous déplacez. L’espace, la matière, les couleurs, le pourquoi - tout dit quelque chose sur le lieu et l’époque dans laquelle vous vivez.
Quel type de matériel argentique et numérique utilisez-vous ?
M.H.: J’utilise un appareil photo analogique grand format avec des négatifs couleur 4x5’’et une caméra vidéo numérique 4k. Cela me convient parfaitement. J’ai seulement deux objectifs, pas de babioles inutiles. De toute façon, « less is more! ».
Développez-vous et tirez-vous, vous-même, vos photos ?
M.H.: Je « prends », moi-même, les photos, je n’aime pas le terme « tirer » ou « shooter », il ne correspond pas à mon travail. Pour le développement du C-41, j’envoie les négatifs à un laboratoire de couleur. Je fais moi-même les petits « tirages » colorés. Les grands, ceux d’exposition, sont faits dans le laboratoire sous ma supervision. C’est un long processus de l’exposition au résultat final.
Interview réalisée par Pierre d'Ornano
Informations pratiques
Les œuvres de Matthias Hoch sont reconnues internationalement et font partie de collections publiques telles que la Galerie berlinoise, la Kunsthalle de Brême, les Collections nationales de Dresde, le Musée des Beaux-Arts de Leipzig, la Pinakothek der Moderne de Munich ou le Museum of Modern Art de New York.
Les expositions en cours :
« L’Entracte »
-Goethe-Institut Paris (en solo), jusqu’au 6 septembre 2022*.
17 Avenue d’Iéna
75116 Paris
*L'Institut et l'exposition sont fermés du 22 juillet 2022 au 16 août 2022. Les visites reprendront le 17 août.
-Rocket Gallery London (en groupe), jusqu’au 24 septembre 2022.
4-6 Sheep Lane, London (United Kingdom)
Tél. : +44 20 7254 8391
gallery@rocketgallery.com
Ses derniers albums :
-Matthias Hoch, BER, Spector Books, Leipzig 2021
-Matthias Hoch, Hotel Kobenzl, Fotohof edition, Salzburg 2016
-Matthias Hoch, Silver Tower, Spector Books, Leipzig 2013
Pour accéder au publications cliquer ICI
Où acquérir ses œuvres :
-Galerie Nordenhake, Berlin
Lindenstrasse 34
DE-10969 Berlin
Tél. : +49 30 20 61 483
berlin@nordenhake.com