
On connait Bordeaux, son immense réputation, avec ses vins d’assemblage prestigieux ; ses dérives aussi, notamment lorsque (il-y-a un certain nombre d'années) certains vinificateurs et vignerons furent enclins à trop extraire, à boiser parfois à outrance, notamment pour penser séduire le dégustateur/critique du Maryland (États-Unis) Robert Parker, ancien avocat, mondialement connu pour son système de notes « Parker Points », de 50 à 100 points … Et il y a le bordelais-vigneron, le plus fréquemment des domaines familiaux, qui a toujours produit des vins d’une grande diversité, dont des vins de terroir, équilibrés et fins, et d’un bon rapport qualité-prix. Le Château Lamothe-Cissac en est un exemple. Les propriétaires, les Fabre, tout en demeurant dans la tradition girondine, ont dérogé aux modes gustatives et aux « règles » commerciales de la place bordelaise, en distribuant, en direct, leurs vins.
Photo de Une : Château Lamothe-Cissac, cuvée 2018 - Cru Bourgeois - un assemblage de cépages cabernet sauvignon (58%), merlot (35%) et petit verdot (7%). © Pierre d'Ornano.

Le domaine Lamothe, propriété historique des Fabre
Nous sommes au château Lamothe-Cissac, Cru Bourgeois, situé en plein Médoc, propriété de la famille Fabre depuis 3 générations. Lamothe-Cissac (Haut-Médoc) ce sont, aujourd’hui, 33 hectares plantés majoritairement en cabernet sauvignon (autour de 60%), merlot (35%) et 5% de petit verdot.

Le domaine Lamothe, propriété au XIXe siècle de la famille d’Elbauve, a été acquis en 1964 par Gabriel Fabre. Depuis les années 1950, il n’y était plus produit de vin. Les vignes actuelles du château Lamothe ont commencé à être plantées en avril 1967 sur une croupe argilo-calcaire et une "motte" de graves. Les Fabre sont également propriétaires des Châteaux Bellevue de Tayac, Landat, La Tonnelle, Laride, Le Chêne, Carreyre, en appellations Haut-Médoc et Margaux, regroupés au sein des Domaines Fabre. L’ensemble représente 92 hectares de vignes. En 2007, Vincent Fabre et son épouse, Florence, ont repris la gestion des Domaines. Leurs enfants, Mélanie et Jean-Hubert les ont depuis rejoints.
L’exploitation est certifiée HVE (Haute Valeur Environnementale) Niveau 3(1) et, depuis septembre 2020, les Fabre ont intégré le club Vignobles & Signatures.
Entre Pauillac et Saint-Estèphe
Près des 2/3 des vignes de cette cuvée Lamothe-Cissac 2018 sont sur la commune de Cissac-Médoc, limitrophe de l’appellation Pauillac, le reste, 12 hectares, est situé sur Vertheuil, limitrophe elle de Saint-Estèphe. Presque tous les rangs sont plantés nord-sud, pour avoir une exposition est-ouest par rapport au soleil, « ce qui n’est pas le cas sur toutes les vieilles parcelles, notamment les plus anciennes » déclare Jean-Hubert Fabre.

Enfin, ce coin du Médoc est relativement plat, les vignes du domaine culminent à environ 18 mètres, il n’y a donc pas vraiment d’exposition, comme c’est le cas en Bourgogne ou dans le vallée du Rhin.
Sur l’îlot qui entoure la propriété les sols sont argilo-calcaires et le sous-sol est formé de graves profondes. En revanche, l’autre îlot, de la côte de Vertheuil, est constitué de graves pyrénéennes, un mixte de graves et de sable « bien plus petites que celles qu’on trouve à Margaux » souligne Jean-Hubert Fabre.
Une exploitation labélisée HVE 3 et plus…
Concernant la culture de la vigne, si les Domaines Fabre sont HVE3, dans les faits ils vont plus loin que les critères imposés pour acquérir le label, sans cependant avoir la certification bio, précise Jean-Hubert Fabre. « Sauf sous les rangs de vigne, pour limiter les contaminations et les maladies, les 2/3 du vignoble sont enherbés, travaillés mécaniquement. Un programme de plantation de haies a été mis en place. Depuis 2017 on a ainsi planté plus de 1 km de haies en bordure de parcelles. On utilise aussi la confusion sexuelle pour repousser les eudémis [papillon dont la chenille ravage la vigne, également connu sous le nom de tordeuse ou ver de la grappe]… et le fait de ne pas être certifié ne veut pas dire qu’on n’ira pas, à moyen terme, sur le bio. On fait des essais en interne. Aujourd’hui, sur les 33 hectares de vignes du Château Lamothe-Cissac, 9 sont travaillés en bio, sans avoir la certification Ecocert. » Mais, toutefois, de préciser, qu’éventuellement, dans un année avec des prévisions de conditions météorologiques très défavorables, ils ne s’interdisent pas de revenir, sur les secteurs concernés, à une culture de la vigne conventionnelle. Ajoutons qu’il est procédé à un effeuillage des pieds de vigne.
(1) Le niveau 3 de la certification Haute Valeur Environnemental (HVE) se fonde sur un référentiel de 4 indicateurs de performance environnementaux : la biodiversité, la stratégie phytosanitaire, le raisonnement de la fertilisation, et la gestion de l’irrigation.
2018, un millésime exceptionnel
« Le millésime 2018 a été exceptionnel », se réjouit encore Jean-Hubert Fabre... « L’hiver a été pluvieux, ce qui est une bonne chose, on le voit en cette année 2021 où on manque un peu d’eau. La flore a été plus précoce et surtout sans une goutte de pluie, ce qui a permis une sortie rapide et homogène. On a eu ensuite un été ensoleillé chaud, avec juste un peu de pluie. Enfin, l’arrière-saison n’a pas été pluvieuse. Si on arrive toujours à ramasser des merlots très murs, on a parfois un peu de mal avec le cabernet sauvignon et le petit verdot qu’on vendange en dernier. En 2018, il a fait beau jusque dans les derniers jours des vendanges qui se sont étalées du 26 septembre au 16 octobre, ce qui a permis d’atteindre la maturité qu’on souhaitait sur tous les cépages, avec des baies très saines. »

De la vigne au chai...
Des vendanges mixtes : machine et manuelle
Précisons que les vendanges sont faites manuellement sur les très vieux pieds de vigne du domaine et à l’aide de machines pour les autres. « Lorsque mon grand-père a racheté le Château Lamothe-Cissac, en 1964, qui était un très ancien site viticole où on a retrouvé des amphores datant des romains et dont les bâtiments dataient du Moyen-Âge, le vignoble était complètement à l’abandon. Le temps qu’il replante, il avait acheté un petit îlot de vignes un peu plus au nord, à côté de l’appellation Saint-Estèphe, ce sont ces vignes, en partie toujours là, que l’on vendange à la main », explique Jean-Hubert Fabre, qui précise que les machines, dotées aujourd’hui notamment de systèmes de tri mécanique embarqué, laissent les cuves extrêmement propres.
Après les vendanges, l’égrappage puis le foulage sont fait mécaniquement. « L’utilisation d’une machine, à force centrifuge, permet de briser délicatement la pellicule des baies pour libérer le jus en assurant un foulage optimal en fonction de leur maturité et de celle des pépins », souligne Jean-Hubert Fabre.
Le choix de macérations longues, grâce au millésime 2018
Encuvés, les moûts vont ensuite macérer pour une durée adaptée au millésime. « 2018 ayant été d’une qualité exceptionnelle, nous avons fait le choix de macérations longues, de 25 à 30 jours, pour aller chercher des extractions de tanins bien mûrs, sans avoir peur de s’exposer à des goûts un peu verts qui peuvent apparaître lorsque le raisin est à la limite de la maturité ». En outre, une micro-oxygénation est occasionnellement effectuée en cuve afin de renforcer la structure tannique.
Après la macération et les fermentations, avec des cuves maintenues entre 24 et 26 degrés, au Château Lamothe-Cissac l’assemblage est fait avant de mettre le vin en barrique de chêne où il reste, en élevage, 12 mois. Les équipes du château peuvent également procéder à des soutirages, planifiés selon les résultats des dégustations, afin de clarifier les vins et leur apporter l’oxygène nécessaire. Enfin, depuis 10 ans, l’utilisation de sulfites est réduite au maximum au domaine, notamment au moment de l’entrée de la vendange dans les cuves.
Du sans sulfites à Lamothe-Cissac
Les événements créent des situations… La famille Fabre a, en 2018, profité de la qualité du millésime et de la vendange très saine pour se lancer dans le sans sulfites ajoutés. Cette année-là, une cuvée à part a été vinifiée sans ajouter un gramme de SO2 tout au long du processus. Dénommée Fabre de Nature, elle a été produite, avec comme choix de cépage, uniquement du cabernet sauvignon. « Avant de nous lancer nous avions testé pas mal de sans sulfites à Bordeaux avec, pour 95% d’entre eux, du 100% merlot. Or, on retrouvait dans les vins le côté un peu lourd ou fruits très mûrs du merlot, à la limite du confit, alors qu’on voulait un vin plus sur la puissance et la fraîcheur. Le résultat a été probant et on a revinifié une autre cuvée sans sulfites en 2020. »

Quant au profil organoleptique …
Pour ce qui est du profil organoleptique recherché, c'est l'équilibre qui prévaut pour Jean-Hubert Fabre et la recherche, avec l'utilisation du bois, d'une complexité, sans excès. « De manière générale on recherche un équilibre entre le fruit et le boisé. Aujourd’hui on produit une cuvée sans bois, mais on reste à Bordeaux, et le bois apporte quand même une belle complexité au vin. On est donc toujours partisans de faire des élevages en barrique. » Et Jean-Hubert Fabre de préciser qu’ils n’ont jamais été adeptes de l’école de Robert Parker « même à sa grande époque, lorsque le bordelais s’était amusé à sur-boiser ». Le domaine est d’ailleurs suivi et conseillé par Éric Boissenot, œnologue réputé sur la rive gauche, qui a la même philosophie, à savoir : pas trop d’extraction et une utilisation plutôt modérée du bois.
Le petit verdot, pour donner du corps
Ajoutons que l’assemblage du Château Lamothe-Cissac comprend du petit verdot, en petite proportion, un cépage qui donne du corps au vin et qui est très prisé par la famille Fabre. « On a toujours eu du petit verdot au domaine, les pieds ont entre 30 et 35 ans d’âge. C’est un cépage qu’on apprécie de plus en plus car il a une belle acidité avec des degrés d’alcool pas très élevés ce qui vient contrebalancer des merlots parfois un peu trop forts en teneur alcool. Et le petit verdot apporte une très belle couleur et des notes épicées, même avec seulement 5% on voit la différence lors des assemblages », dixit Jean-Hubert Fabre.
Notes de dégustation
Château Lamothe-Cissac 2018 – Cru Bourgeois
-Cépages : cabernet sauvignon majoritaire (58%), merlot (35%) et petit verdot (7%).
-Sols et sous-sols : argilo-calcaire et graves pyrénéennes
-Rendement 2018 : 51 hl/ha
-Élevage : 12 mois en chêne.
Notations
-Wine Enthusiast : 91/100 pts.
-Decanter : 90/100 pts.
-Andreas Larsson : 90/100 pts.
-James Suckling : 90/100 pts.
-VertdeVin : 91/100 pts.
-Couleur : rubis profond.
-Nez : intense, arômes de fruits noirs, cerise noire, cassis, mûre avec des notes de réglisse et d’épices qui se prolongent en bouche. Le vin est concentré et complexe. On perçoit des notes légèrement boisées, toastées/fumées, le tout étant fondu. Selon Jean-Hubert Fabre le vin va encore s’arrondir encore avec le temps. « Une des caractéristiques des 2018, contrairement aux 2017, qui fut une année plus difficile, a d’ailleurs été, dès les premières dégustations pendant les primeurs de Bordeaux, leur buvabilité. On avait l’impression que les vins pouvaient être mis en bouteille dès le mois suivant », précise-t-il.
-En bouche, l’attaque et franche et tendue. Les tanins sont à la fois fins et fermes. Le milieu de bouche est rond et ample avec une belle intensité. On retrouve des saveurs de cassis et de cerise noire avec de légères touches ternaires de torréfaction. Le vin est équilibré, avec une belle acidité et une fraîcheur qui se prolonge sur une finale tout en délicatesse. Enfin, une aptitude évidente à la garde permet de le conserver des années encore en cave. Il y développera, avec le temps, des arômes plus complexes de cuir et de sous-bois.
Accords mets & vin
Ce millésime du Château Lamothe-Cissac, d’une certaine puissance et concentration, accompagnera des viandes de bœuf, de veau, d’agneau, des grillades et, à l’automne, tout type de gibier à plumes ou à poils, (faisan, perdrix, canard … chevreuil, sanglier). Il sera également idoine sur des fromages corsés.
Prix départ chai : 14,50 €
Informations pratiques
Adresse
Domaines FABRE – Cissac-Médoc, 33250 Pauillac, France
-Tel : +33 (0)5 56 59 58 16
-Fax : +33 (0)5 56 59 57 97
-Courriel : info@domaines-fabre.com
Pour vous rendre sur le site internet des Domaines Fabre cliquez "ICI"
Où les trouver
Seulement sur le secteur traditionnel (CHR et cavistes). Les vins ne sont pas disponibles en grande distribution, un choix fait depuis 2 générations.
Soulignons également que la distribution des vins est faite en direct, sans avoir recours aux négociants et courtiers de la Place de Bordeaux, qui commercialisent 70% de la production des AOC girondines.
Restaurants à Paris
-Aux Trois Mailletz
56 Rue Galande, 75005 Paris
Tél.: 01 43 25 96 86
-Le Tire Bouchon
40 rue de Berri, 75008 Paris
Tél.: 01 45 63 90 36
-Les papilles de Franklyn
28 Avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris
Téléphone : 01 44 07 14 68
Une cave
-La Bouteille, tenue par Christelle, caviste indépendante
dans le quartier des Batignolles
8 Rue Brochant, 75017 Paris
Tél.: 01 83 96 67 51